La biographie de l'équation E = mc
2 est loin d'être complète.
La remarquable
illustration qu'en donne le documentaire fiction diffusé par Arte le
dimanche 16 octobre (Une biographie de l'équation E = mc2, de Gary
Johnstone) pourrait connaître bientôt un nouveau chapitre
passionnant.
Au laboratoire
d'optique appliquée (LOA), commun à l'Ecole nationale supérieure de
techniques avancées (Ensta), à l'Ecole polytechnique et au CNRS, de
Palaiseau (Essonne), Gérard Mourou se rapproche du moment où il
pourra faire jaillir de la matière à partir du vide...
http://www.mondepub.fr/Produ/Web/Tarif/index.htm
"Le
vide est mère de toute matière", lance-t-il avec une
certaine jubilation. A l'état parfait, "il contient une
quantité gigantesque de particules par cm3... et tout autant
d'antiparticules". D'où une somme nulle qui conduit à cette
apparente absence de matière que nous nommons... le vide. De quoi
contester la définition du dictionnaire pour lequel, depuis le XIVe
siècle, ce dernier est un "espace qui n'est pas occupé par de
la matière". C'était compter sans l'antimatière et sans la
célèbre formule E = mc 2, qu'Albert Einstein a déduit de la
relativité restreinte il y a cent ans, en 1905.
Pourquoi
inverser cette formule en produisant de la matière à partir du vide
?
Pour Gérard
Mourou, les applications iront de la création d'une nouvelle
microélectronique relativiste à l'étude du Big Bang et à la
possibilité de simuler des trous noirs. Ce qu'il nomme la
"lumière extrême" permet de développer la protonthérapie,
capable d'attaquer des tumeurs sans détériorer les cellules
environnantes, une "pharmacologie nucléaire" et la
possibilité de contrôler la radioactivité d'un matériau avec un
simple bouton. Sans parler de la fabrication d'accélérateurs
extrêmement compacts pouvant concurrencer les gigantesques
installations du CERN de Genève. La maîtrise de la lumière est donc
loin d'avoir atteint ses limites. Le LOA travaille avec le laser,
l'un des aboutissements les plus spectaculaires des découvertes qui
ont valu à Albert d'Einstein le prix Nobel en 1921.
Gérard Mourou a
joué un rôle majeur dans l'augmentation de la puissance de ce rayon
de lumière cohérente obtenu pour la première fois en 1960. En 1985,
il a mis au point une méthode baptisée chirped pulse
amplification (CPA) (Le Monde du 8 juin 1990). "Du
jour au lendemain, nous avons fabriqué une source qui tenait sur
une table et dont l'intensité égalait celle d'installations de la
taille d'un terrain de football", explique Gérard Mourou.
VAGUE
DÉFERLANTE
Les
physiciens butaient depuis une vingtaine d'années sur l'apparition
de phénomènes non linéaires aux intensités d'environ 1014 W/cm2
(W/cm2) qui dégradaient l'onde et provoquaient la destruction des
solides dans lesquels naissaient les lasers. Gérard Mourou
utilisait des sources produisant des impulsions très courtes
(picoseconde, soit 10 ­ 12 secondes), dont l'une des
caractéristiques était de contenir une large gamme de fréquences.
"Pour résoudre le problème, avant d'amplifier l'impulsion,
nous l'avons étirée en ordonnant les photons", indique le
chercheur qui, pour expliquer la CPA, utilise l'analogie d'un
peloton de cyclistes face à un tunnel. Pour éviter un blocage lors
d'un passage de front, il faut ralentir certains coureurs avant
l'obstacle.
Gérard Mourou
procède de même avec les fréquences. Après les avoir séparées, il
impose des parcours différents à chaque couleur à l'aide d'un
réseau de diffraction. Après l'amplification de chaque fréquence,
il "suffit" de réaliser l'opération inverse afin de
retrouver une impulsion au profil identique mais beaucoup plus
intense. Avec la CPA, l'intensité s'est remise à grimper pour
atteindre... 1022 W/cm2 aujourd'hui, 1024 W/cm2 en 2006.
"Jusqu'à
une certaine valeur de l'intensité, la composante magnétique de
l'onde incidente reste négligeable par rapport à sa composante
électrique'', explique Gérard Mourou. Mais à partir
de 1018 W/cm2, elle exerce une pression sur l'électron."
Ce dernier, jusque-là soumis à une simple "houle", se
trouve soudain emporté par une vague déferlante qui l'entraîne
jusqu'à lui faire atteindre sa propre vitesse, c'est-à-dire celle
de la lumière. On entre alors dans l'optique non linéaire
relativiste. Les électrons arrachés transforment leurs atomes en
ions qui "tentent de retenir les électrons, ce qui crée un
champ électrique continu, c'est-à-dire électrostatique, d'une
intensité considérable". On transforme ainsi le champ
électrique alternatif de l'onde lumineuse incidente en champ
électrique continu.
Ce phénomène "extraordinaire"
engendre un champ titanesque de 2 teravolts par mètre (1012 V/m).
"Le CERN sur un mètre...", résume Gérard Mourou. A
1023 W/cm2, le champ électrostatique atteindra 0,6 petavolt par
mètre (1015 V/m)...
A titre de
comparaison, le Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) accélère
les particules jusqu'à 50 giga-électronvolts (GeV) sur 3 km.
"En théorie, nous pourrons faire de même sur une distance de
l'ordre du diamètre d'un cheveu", assure le chercheur. En
son temps, Enrico Fermi (1901-1954) estimait que, pour atteindre le
petavolt, l'accélérateur devrait faire le tour de la Terre.
"Les
électrons poussés par la lumière finissent par tirer les ions
derrière eux", poursuit M. Mourou. Désormais, la barque
entraîne son ancre. La lumière initiale a engendré un faisceau
d'électrons et d'ions. Le LOA est parvenu à accélérer des électrons
jusqu'à des énergies de 150 méga-électronvolts (MeV) sur des
distances de quelques dizaines de microns. Il compte d'abord pousser
jusqu'au GeV, et "beaucoup plus loin ensuite".
MINI-BIG BANG
Parallèlement à
ce développement qui pourrait, à terme, concurrencer les grands
accélérateurs de particules, Gérard Mourou se dit très proche,
toujours grâce aux énormes intensités lumineuses obtenues, de
"claquer le vide", c'est-à-dire de faire apparaître
"quelque chose" là où il n'y avait rien en apparence. En
réalité, il ne s'agit pas d'une opération magique mais,
"simplement", de faire apparaître ce qui était invisible.
L'objectif théorique est une intensité de 1030 W/cm2. Pour obtenir
cette valeur, les physiciens considèrent le vide comme un
diélectrique, c'est-à-dire un isolant. De la même façon qu'une
intensité trop forte fait "claquer" un condensateur,
il est possible de "claquer le vide". Mais que se
passera-t-il alors ? Quelles particules étranges jailliront-elles
du vide ? Là encore, le mystère est éventé. Il s'agira d'un couple
électron-positron. Une particule et son antiparticule, qui sont les
plus légères et donc celles qui, selon la formule
d'Einstein, réclameront le moins d'énergie pour apparaître. Et ce
minimum est également parfaitement connu : 1,022 MeV.
Ainsi, tout
semble prêt pour que la matière fasse sa première apparition à
partir du vide dans un laboratoire. Ce mini-Big Bang pourrait même
se produire avant les 1030 W/cm2. M. Mourou pense qu'en faisant
appel à des rayons X ou gamma, il serait possible de ramener ce
seuil aux alentours de 1023 à 1024 W/cm2. Or c'est justement
l'objectif du LOA pour les prochaines années.
Michel
Alberganti
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