Tout le
monde a plus ou moins entendu parler de Chambrin et de son « moteur à
eau ». Ayant retrouvé un article de l’époque (L'automobile n° 338 -
juillet 1974), je le soumets à votre réflexion, ainsi que quelques
commentaires. Vous verrez comme c’est riche d’enseignements.
Stupéfiant : « J’ai vu tourner le premier moteur à eau »
(Recueilli par Jean-Paul Thévenet)
« Un
moteur tourne avec 60% d’eau et 40% d’alcool ». La nouvelle a
traversé toutes les salles de rédaction depuis le début de l’année.
Ici, à l’ « Automobile », l’information n’a pas résisté à deux
discussions. Depuis la crise du pétrole(1) on se méfie
des inventeurs. Mais cette fois les choses sont plus sérieuses. On a
vu dans les rues de Rouen une Citroën équipée du moteur à eau se
déplacer comme n’importe quelle autre voiture et entreprendre dans
la campagne environnante une promenade de 100 km sans le moindre
ennui. L’événement sort du champ étroit du fait divers : pas de
doute, la balade tourne à l’exploit. La pente paresseuse de la
petite rue dissipe chez les curieux toute envie de science-fiction.
Le rendez-vous, c'est un garage qui affiche une mine de province.
L'artisanat vit encore, sans carrelage, et le bon diagnostic d'un
moteur qui s'essouffle peut être fait sans ordinateur. L'atelier
accueille une dizaine de voitures. On est loin du laboratoire ; ici
rien de fébrile, pas la moindre trace de cette compassion qui fait
les grands scientifiques. Bon Dieu, si Bernard Pallissy revenait sur
terre il aurait aimé être ce garagiste. « Notre moteur, oui
Monsieur, une petite minute », le téléphone sonne, « non madame,
rien de très grave, un pauvre roulement ; oui, nous l'avons
remplacé, vous n'avez pas entendu, cela m'étonne ».
Jean Chambrin et
Jack Jojon nous accueillent. Deux bons Français, comme vous et moi ;
dans les yeux la joie de vous expliquer ; dans le regard aucune
prétention, la logique et les formules on le sent tout de suite
c'est ailleurs : dans les mains, dans la tête ! Le banc est à deux
pas du bureau. Il accueille un moteur Dodge. Narquois le gros
réservoir d'eau tend vers l'alimentation son tuyau de plastique
alors qu'à droite un bidon d'alcool jette un autre défi. L'apprenti
fait le plein avec de gros arrosoirs qui viennent tout droit du
robinet. On tourne deux vannes, on lance un démarreur : cela tourne.
« Vous voyez ce n'est pas plus compliqué que cela ». La malice vient
d’illuminer un court instant le visage de Jojon. Il parle. Le
portrait, la silhouette, tout colle. C'est un peu un chevalier de la
Table Ronde qui vous conte autour d'un verre son dernier exploit.
Jean Chambrin dévisse un gicleur, fait une réflexion, commente ; on
est déjà dans les vestiaires après le match, c'est l'entraîneur qui
parle d'un sport : la mécanique.
(1) La crise pétrolière de 1973
Q : Ce moteur vous y avez pensé quand ?
R : En 1957. Vous vous souvenez on parlait déjà de pénurie
d'essence. Mais, à l'époque, il me manquait beaucoup de choses, trop
de choses. Jojon était client chez moi ; l’électronique cela le
passionnait. Or, vous le savez, la mécanique moderne sans
l'assistance de l'électronique, c'est un cheval sans cavalier. On a
bavardé. Le résultat c'est cela.
Commentaire de René : On pensait déjà à l’électronique à
cette époque !
Q : Mais ce moteur marche comment, par rapport un moteur
classique ?
R. : Jack Jojon écrase sa cigarette : « c'est très facile ».
Il y a deux parties dans ce moteur. L'une est mécanique, l’autre
électronique. La partie mécanique c'est une chambre de cracking du
type marmite de Séguin. La partie électronique, la deuxième, et
celle dans laquelle on envoie une très haute tension, plusieurs
kilovolts sous quelques pico-ampères (NDLR : pico : préfixe qui
placé devant le nom d'une unité la divise par un billion, soit 1012)
et sous haute fréquence. Le principe est celui-ci : vous savez que
l'eau se « crack », se transforme en oxygène et hydrogène vers 2000
à 2300°. Il faut donc abaisser cette température à l'aide d'éléments
soit physiques, c'est le cas du choix que nous avons fait, soit
chimiques, c'est le cas du système employé dans les futurs réacteurs
à très hautes température, ou à l'aide de quatre à cinq réactions à
730 ou à 1050° on provoquera le cracking de l'eau, pour récupérer
l'hydrogène et l’oxygène.
Chambrin et moi nous avons pris le contre-pied de cette
difficulté. En gros, nous avons tenu le raisonnement suivant : nous
pouvons facilement obtenir à peu près 700 à 800°. À partir de ce
moment-là nous devons trouver une solution simple, peu coûteuse, qui
nous permet d'entretenir cette température et ensuite de cracker
l'eau. Vous vous en doutez, nous avons procédé par étapes. Tout de
suite nous avons pensé à l'alcool. Simplement parce que celui-ci est
très miscible à l'eau et que nous rencontrions déjà assez de
problèmes sans envisager un barbotin ou d'autres solutions aussi
complexes. Nous avons donc un produit, un mélange si vous préférez,
qui pénètre dans la pipe d'admission à 750°,
qui rencontre ensuite une barrière de potentiels, moment à partir
duquel se produit le phénomène de séparation qui fait tourner le
moteur. Quand je parle de barrière de
potentiels je veux dire que nous sommes en présence de trois
éléments précis. Premièrement d'une fréquence en quelque sorte
hachée par la lumière. Deuxièmement d'une haute fréquence qui
a pour but de cracker la molécule (la haute tension). Troisièmement,
d'une fréquence relativement basse dont le but est de délimiter la
zone où le débit.
Commentaire de René : Cette invention montre quelques
similitudes à la fois avec le système Pantone et le système de
Jean-Marc Moreau (Utopia).
On sait que certains métaux, comme le nickel, ou des alliages
comme l’inox à base de nickel, sont des catalyseurs qui permettent
d’obtenir un cracking à une température plus basse, sinon une
meilleure électrolyse, surtout si on se sert d’une onde carrée à une
certaine fréquence, ou mieux des harmoniques de cette fréquence.
Q : Par rapport au moteur classique est-ce que votre découverte
entraîne des modifications profondes, les modifications
incompatibles avec cette notion de moindre coût qui est l'obsession
de tous les constructeurs.
R : Pas du tout puisque le prototype sur lequel nous
travaillons n'a pas exigé en partant d'un moteur classique plus de
2000 F de
frais de modifications. Quand je dis
2000 F entendez bien par là qu'il s'agit d'un bricolage
artisanal autour duquel les heures de main-d'oeuvre, les hésitations
dans la définition de telle ou telle pièce, l'éventail de choix dans
leur adaptation pèse très lourd. Il est bien évident que toutes ces
considérations, lorsqu'elles seront élaguées, et mises en forme dans
un cahier des charges correspondant à une fabrication en grande
série pèseront d'un poids beaucoup plus léger dans le prix de
revient définitif.
Commentaire de René : L’expérience a prouvé que le système
Pantone qui est l’invention la plus proche de celle de Chambrin,
permet à un coût très bas (300 à 1000 €), comparativement au pot
catalytique, de réduire presque complètement la pollution, et en
plus il permet de réduire la consommation dans d’importantes
proportions comme le démontre le site Quanhomme depuis quelques
années.
Q : Qu'est-ce que représente exactement l'économie de carburant
proposée par votre moteur ?
R : La moitié. C'est-à-dire qu'actuellement, toujours au
stade du prototype, en tenant compte d'une manutention moyenâgeuse,
nous arrivons malgré tout à faire chuter de 50 % le poste
consommation de carburant. J'ajouterai que nous consommons moins
qu'avec de l'essence. Et puis, mais cela c'est une autre affaire, la
longévité du moteur sera considérablement rallongée. Pour ne vous
citer qu'un seul exemple on ne voit pas comment sur celui-ci nous
aurions des problèmes de tenue des segments.
Commentaire de René : C’est plus ou moins le résultat qu’ont
obtenu les utilisateurs du Pantone et même du système G (Pantone
simplifié).
Q : Est-ce que vous avez déjà eu quelques échos de la part des
constructeurs ?
R : Vous savez, la plupart des constructeurs automobiles,
plus exactement les motoristes de ceux-ci, c'est une secte. Dans ce
plan, ce qui ne marche pas rigoureusement suivant la formule de
Carnot (NDLR : Carnot avait démontré la loi d'équivalence entre la
chaleur et le travail et donné une valeur assez exacte de
l'équivalent mécanique de la calorie) n'a jamais donné un rendement
satisfaisant et ne le donnera jamais. Dans ces conditions essayer de
faire admettre le contraire à un constructeur automobile je crois
que c'est inutile !
Commentaire de René : Nous savons aujourd’hui que tous les
constructeurs connaissent le système Pantone et que les conseils d’administration
mettent des freins à son adoption, ne serait-ce que comme procédé
antipollution. Il y a les raisons évoquées par cet article et
d’autres raisons plus obscures encore.
Q : Le moteur à eau, si tant est que l'on puisse le baptiser ainsi,
reste dans le contexte actuel une douce folie. Est-ce que vous
croyez véritablement à son développement en grande série ?
R : Bien sûr. Vous savez, le fait que des gens, et même
d’éminents mathématiciens nous prennent pour des fous ne change rien
à notre conviction. Nous ne sommes plus au stade du rêve, nous
roulons, nous remettons en cause des habitudes en forme de monuments
et c'est sans doute ici que le bât blesse. Mais rassurez-vous,
scientifiquement nous sommes adultes. Notre mise au point se cherche
au-delà de l'automobile. Pour nous l’essentiel est de poursuivre. Il
fallait y croire. C’est fait depuis 15 ans. Ce qu'il faut maintenant
: faire passer dans l'esprit de ceux qui nous font consommer que
l'expérience pratique et la maturité scientifique peuvent être les
premiers supporters des grands bouleversements.
Commentaire de René : Le processus est en marche.
Q : Ce moteur, est-ce que vous pensez lui donner rapidement un
baptême en quelque sorte officiel ?
R : Je vous l’ai dit, nous sommes lucides. Notre obsession
c'est la preuve par 9, ce n'est pas le panache d'une quelconque
soirée dans un ministère ou une préfecture. Nous travaillons encore
sur du matériel ancien. Nous ne travaillons qu'avec nos seuls
moyens. Notre expérimentation nous l'avons menée sur une berline qui
avait huit ans d'âge et sur un Dodge de récupération. Ce dernier a
fait 1500 km
mais nous sommes très conscients que la faiblesse de ses moyens a
retardé notre délai de mise au point. Ce n'est pas une excuse mais
ce n'est pas non plus une raison suffisante pour crier bien fort «
nous y sommes ». Pour l'instant nous estimons que notre degré de
mise au point est de l'ordre de 70 %. Nous pensons toucher
définitivement au but dans trois mois. Après il y a l'avenir avec un
moteur dont l'alimentation reviendrait essentiellement à de l'eau,
de l'eau d’égout.
Commentaire de René : Il a quand même fallu traverser bien
des péripéties pour arriver au stade actuel. Mais tous les espoirs
d’avoir un moteur 100% eau seront sans aucun doute bientôt
actualisés… et vous verrez qu’il ne sortira pas d’un centre de
recherche d’une grande firme automobile ni d’un laboratoire
officiel !
Q : Mais encore ?
R : Pour nous tout ce qu'une grande ville rejette et qui
exige beaucoup d'argent pour s'en débarrasser est un carburant
sensationnel. Un carburant dont la valeur en calories est
certainement supérieure à celui que nous avons aujourd'hui. Les
égouts c’est sale, c'est coûteux. On parle d'épuration mais on
recule toujours devant un problème de gros sous. Nous, nous avons
une proposition : construire des génératrices qui entraîneront des
alternateurs qui absorberont cette eau pour la rendre bien pure à la
nature ; puisque, à l'échappement, nous ne sortons que de l'eau et
de l'eau a très haute température on pourrait avec notre échappement
chauffer des bacs ou des chaudières ou même produire de
l'électricité. C'est bien simple je me suis amusé à faire un petit
calcul : ce qui se véhicule dans les égouts de Paris en une journée
permettrait de produire l’électricité nécessaire à la vie de la
capitale pendant trois ou quatre jours.
Commentaire de René : Chambrin était en avance sur son
époque, il pensait déjà à la cogénération. Remarquons que Pantone
avait la même velléité de dépolluer la planète. Mais apparemment
c’est un argument qui n’a pas retenu l’attention des pouvoirs
publics, malgré leurs nombreuses déclarations sur ce sujet.
Q : En dehors des constructeurs automobiles, est-ce que vous vous
connaissez d'autres adversaires ?
R : Oui bien sûr, c'est très normal. Tout sentiment politique
mis à part, le pétrole indispensable à la production d'énergie dans
le monde c'est une douce plaisanterie. Attention, ne me faites pas
dire qu'une autre source d’énergie est capable d’engendrer à sa
place aussi simplement et aussi rapidement des profits aussi
monumentaux. Cela n'existe pas et c'est tout à la fois le drame et
le privilège du pétrole. Pour nous il ne s'agit pas de faire tourner
le monde à l'envers, ce n'est pas notre affaire. Pour en avoir fait
l'expérience nous savons qu'à moyen terme une voiture peut tourner
avec 5 % d’essence et 95 % d'eau. Que cette conviction détruise tout
un système économique, je vous le répète, ce n'est plus notre
affaire.
Commentaire de René : Remarquons la formidable lucidité de
ces inventeurs normands.
Q : En êtes-vous certains ? Le bouleversement de votre invention
détruit, vous l'avez dit, un mythe, un système. Au plan de la morale
elle est sympathique mais au plan économique ne peut-elle pas faire
courir des risques énormes ?
R : Ce n'est pas nouveau. Tout invention détruit quelque
chose. Nous savons parfaitement que le propre du scientifique c'est
d'éviter que sa découverte parvienne à détruire totalement sa propre
civilisation. Mais la civilisation du pétrole est une fausse
civilisation. Et a plus de 50 ans, c'est une civilisation facile
parce qu'elle est peu coûteuse et immédiatement rentable. Elle a
installé la paresse et involontairement escamoté la notion de
recherche qui s'accrochait à la découverte d’autres sources
d’énergie. Et quand je parle d'autres sources, je ne parle pas que
de l'eau. Aujourd'hui la volonté de chacun de s'assurer une
indépendance nationale remet tout en question. Il faut savoir
jusqu'où celle-ci doit conduire. Tout le problème est là.
Commentaire de René : Même remarque.
Q : Est-ce qu'avant vous il y a eu d'autres chercheurs qui se sont
efforcés de mettre au point un moteur à eau ?
R : Oui, bien sûr, il y a eu beaucoup de « fumistes » qui se
sont ravitaillés autour d'un principe très simple. Pour tirer de
l'hydrogène de l'eau on s'en remet à l'électrolyse. Mais ce n'est
pas rentable puisqu'il faut plus d’énergie pour l'obtenir que ce que
l'on produit. Après, les découvertes intéressantes sont rares, en
dehors des réacteurs à haute température dont la technique ne sera
parfaitement maîtrisée que vers 1980. Mais il faut être tolérants
vis-à-vis de tous ceux qui ont tenté quelque chose à partir de l'eau
; le mythe du pétrole a installé un véritable complexe, il a
construit un mur pour camoufler un secret enfantin car cette énergie
extraite du fin fond de
la Terre ce n'est
rien d'autre qu'une fermentation à partir de l'eau. Seulement voilà,
le profit est souvent l'enfant naturel du mystère ou du miracle et
cela aucun scientifique digne de ce nom ne peut l'admettre.
Commentaire de René : Il ne faudrait pas croire que tous
étaient des « fumistes ». Le site Quanthomme a cité un certain
nombre de chercheurs qui ont eu des résultats significatifs, mais
soit ils ont été éliminés physiquement, soit leur invention est
tombée contrainte et forcée aux oubliettes de l’histoire.
Q : Vous ne m'avez pas parlé de la pollution ?
R : Pour nous c'est assez simple. Nous rejetons de l'eau et
du gaz carbonique, c'est tout, et cela ne va pas très loin au plan
de la pollution. Mais nous avons aussi un autre avantage, une autre
fonction à laquelle peut prétendre notre moteur, c'est qu'il est à
récupération. Je m'explique : il y a dans l'eau une multitude de
suspensions métalliques que l'on peut récupérer dans les tuyaux
d'échappement, comme vous avez pu le constater. À moyen terme on
peut même aller plus loin, c'est-à-dire travailler en circuit fermé,
en récupérant l'eau à la sortie de l'échappement, en se contentant
alors d'une alimentation négligeable pour absorber les pertes
d'énergie puisque rien n'est parfait.
Commentaire de René : Des chercheurs tentent encore
d’exploiter cette voie, ce qui démontre la clairvoyance des
inventeurs de Rouen.
Q : Aujourd'hui vous êtes des chercheurs ; votre invention admise,
seriez-vous capables de devenir des banquiers ?
R : Cette mutation nous importe peu. Nous avons passé des
nuits, des dimanches, des vacances entières autour de ce moteur.
Aujourd'hui il tourne rond, nous sommes déjà payés ! Je dirais même
remboursés.
Commentaire de René : Connaissant la suite de l’histoire, ce
propos me laisse perplexe. Nous savons que Chambrin s’est exilé au
Brésil, que même sa femme ignorait son lieu de résidence, qu’il a
été donné plusieurs fois pour mort, qu’il a été revu à Genève… bref,
nous voici en plein mythe.
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Si quelqu'un sait où se trouve M. Jojon, prévenir
René
ReneNRJnouvelles@aol.com
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