Les Echos - Jeudi 12 janvier 2006
propos recueillis par Chantal Houzelle
Recherche : le cri d'alarme d'un prix Nobel Pierre-Gilles
de Gennes, prix Nobel de physique 1991
Extraits :
Je trouve que l'on consacre beaucoup trop d'argent à des actions qui n'en
valent pas la peine. Exemple, la fusion nucléaire. Les gouvernements
européens, de même que Bruxelles, se sont rués sur le réacteur
expérimental Iter [NDLR : il sera implanté dans le sud de la France, à
Cadarache] sans avoir mené aucune réflexion sérieuse sur l'impact possible
de ce gigantesque projet. Quoique grand défenseur des grosses machines
communautaires il y a trente ans, et ancien ingénieur du Commissariat à
l'énergie atomique (CEA), je n'y crois malheureusement plus, même si j'ai
connu les débuts enthousiastes de la fusion dans les années 1960.
Pourquoi ? Un réacteur de fusion, c'est à la fois Superphénix et La Hague
au même endroit. Si, avec Superphénix [NDLR : un prototype de
surgénérateur, dont l'arrêt a été décidé en 1997], on avait réussi à gérer
un réacteur à neutrons rapides, ce serait difficile à reproduire sur 100
réacteurs en France - ce qu'exigeraient les besoins électriques nationaux
-, car ces installations réclament les meilleurs techniciens pour obtenir
un résultat très raffiné dans des conditions de sécurité optimales. Et ce
serait littéralement impossible dans le tiers monde.
Sans compter qu'il faudrait reconstruire une usine du type de La Hague
autour de chaque réacteur pour pouvoir traiter sur site les matières
fissibles extrêmement chaudes, qu'on n'a pas le droit de transporter par
voie routière ou ferroviaire. Vous vous rendez compte de l'ampleur d'un
tel projet !
Avez-vous d'autres réticences vis-à-vis du réacteur expérimental Iter ?
Oui. L'une repose sur le fait qu'avant de construire un réacteur chimique
de 5 tonnes, on doit avoir entièrement compris le fonctionnement d'un
réacteur de 500 litres et avoir évalué tous les risques qu'il recèle. Or
ce n'est absolument pas comme cela que l'on procède avec le réacteur
expérimental Iter. Pourtant, on n'est pas capable d'expliquer totalement
l'instabilité des plasmas ni les fuites thermiques des systèmes actuels.
On se lance donc dans quelque chose qui, du point de vue d'un ingénieur en
génie chimique, est une hérésie.
Et puis, j'aurais une dernière objection. Connaissant assez bien les
métaux supraconducteurs, je sais qu'ils sont extraordinairement fragiles.
Alors, croire que des bobinages supraconducteurs servant à confiner le
plasma, soumis à des flux de neutrons rapides comparables à une bombe H,
auront la capacité de résister pendant toute la durée de vie d'un tel
réacteur (dix à vingt ans), me paraît fou. Le projet Iter a été soutenu
par Bruxelles pour des raisons d'image politique, et je trouve que c'est
une faute.
"No comment !"
Voir aussi page 25
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